Extérieur nuit

C'était un séjour à Berlin. C'était il y a longtemps. Je ne connaissais pas encore Monsieur Surunfil. Un séjour de deux mois pour aller y travailler l'été. Etudiante trop fauchée pour prendre le train ou l'avion, je me souviens en particulier du voyage du retour dans l'autobus, Berlin-Paris, environ 1000 km. Seule parmi tout plein de passagers inconnus, jeunes et moins jeunes, en couple ou en groupe. Ou seuls, comme moi. Un trajet de nuit. 12 ou 13 heures de route. Une éternité. Mais toute la vie et tous les chemins des possibles devant moi. Je me souviens de cette douce et folle insouciance, de cette sérénité, de ce sentiment de liberté et puis aussi, surtout, de cette jubilation éprouvée le soir venu à regarder le spectacle offert par les fenêtres des maisons qui défilent sous mes yeux à travers les grandes villes... Des images mobiles et furtives, des images parfois un peu plus nettes, de l'intérieur des habitations des gens. Des fragments de vie entrevus à la dérobée, un soir d'été. Des projections. Des flashs. Et les méandres de mon esprit vagabond nourri de ces instants volés et bercé par le moteur de l'autobus qui me ramène chez moi.

Cette curiosité, je crois que je l'ai toujours eue. Encore aujourd'hui, lorsque l'occasion se présente, je regarde de la rue à travers les fenêtres pour m'imaginer l'intérieur des maisons et la vie de ses habitants. Et je pars dans mes rêveries.

C'était un séjour à Berlin. C'était hier soir dans mon jardin. Le trajet du retour dans l'autobus. J'ai regardé instinctivement par la fenêtre à l'intérieur de la maison. Il était tard. La lumière était tamisée. Je devine une présence au fond de la pièce. Au premier plan, je constate que la table du petit déjeuner pour le lendemain est déjà mise. J'entends le ronronnement du moteur du bus. Le beurrier est déjà sorti. Le beurre ramolli, oui, ça c'est bien, c'est pratique pour les tartines le matin. Deux grands bols verts et un autre, plus petit, disposés soigneusement sur des sets rouges. La maison d'un couple et de leur enfant ? L'intérieur me plaît. Je suis séduite par la magie de l'instant. La beauté de la table qui réunira cette famille le lendemain matin. Peut-être y aura-t-il de la baguette fraîche au petit-déjeuner ? En une demi seconde, je suis happée de mon bus et je rejoins la présence au fond de la pièce. Je suis chez moi. J'embrasse Monsieur Surunfil. (...)

Comments

[manucré@]

J'aime aussi, la nuit venue, regarder par les fenêtres éclairées assise à la place passager dans la voiture.

[Pielline]

Poète va, je me fais violence pour essayer d'être émerveillée, je t'envie avec ton sens du détail. Un rien t'émeut.
Bisous chaleureux

[ombre]

moi aussi je regarde toujours chez lzs gens pour voir comment ils décorent ! mais jusqu'à présent je n'ai jamais rien vu de merveilleux ! on dirait qu'ils mettent tout dans l'extéreiur mais rien à l'intérieur !

[Margot]

Un petit air de Boucle d'Or et les trois ours !
Joli talent de conteuse Madame Surunfil... merci, merci pour ce bon moment.

[gaellou]

Je suis comme toi, je regarde par les fenetres eclairees la nuit, car j'aime bcp cette ambiance tamisee et douce que donne la lumiere des lampes, des que le jour a disparu...